Propositions de Lectures
Textes de Claude Spielmann
(juin 1937 - février 2024)
Psychanalyste
"Comme l'amour, la pensée veut du loisir, l'affranchissement du temps, l'insouci du rendement et même de toute finalité."
C. Millot, La Logique et l'Amour, éd. Cécile Defaut, 2015.
Chers amies et amis,
Chers anciens et chères anciennes collègues de Claude Spielmann,
Claude Spielmann est décédé en février 2024, à l'âge de 86 ans.
Durant sa vie, il aura écrit sur une période supérieure à trente ans.
Ce livre, Propositions de lectures, présente ses Nouvelles et ses autres textes.
Lire ce que mon père a écrit, c’est entrer dans un dialogue avec lui. Ses mots résonnent, s’étirent, se superposent aux miens comme s’ils ne m’avaient jamais quitté. D’abord, il y a eu le silence, celui du deuil et de l’absence… Puis, j’ai senti leur présence vibrer encore.
Introduire les quelques trente années d’écriture de mon père… Tels étaient mes tous premiers mots pour commencer ce livre. J’ai l’impression d’y être parvenu, d’avoir pris pleine et entière possession de ses textes, que les mots me sont alors venus sans que cela ne me demande un effort.
À force de lire mon père, de moi-même lui écrire aujourd’hui et de faire revivre ses phrases, cette question me vient : que faisons-nous lorsque nous nous souvenons ?
Le souvenir est une trace fuyante. À peine convoqué, il se dérobe, se modifie, se réécrit. Est-il une vérité ou une invention ? Une fidélité ou une trahison ? Nous croyons saisir le passé, mais à chaque évocation, il s’éloigne encore. Ce qui fut n’est plus tout à fait ce que nous en retenons. Pourtant, malgré cette fragilité, nous nous accrochons à nos souvenirs. Nous les tissons, les adaptons, les transmettons. Ils deviennent notre ancre, un point de repère dans le chaos du temps qui passe.
Le souvenir oscille entre la lumière et l’ombre, la consolation et la douleur. Il est une réminiscence précieuse qui ravive les instants disparus, mais aussi un rappel cruel de ce qui n’est plus. Il nous ancre dans une continuité, mais nous confronte aussi à l’irrémédiable écoulement du temps… du temps qui passe, inexorablement. Cette dualité est au cœur de l’écriture de mon père.
Les sifflets de la nostalgie, Octobre n’est pas juillet, Le violon... tous disent, à leur manière, ce besoin de ne pas laisser échapper ce qui s’efface. Son écriture fouille la mémoire, cherche à retenir ce qui glisse entre les doigts. Ainsi, à travers celle-ci, il a fixé ce qui menaçait de disparaître.
La terre se nourrit de lumière en tournant sur elle-même autour du soleil… Mon père, lui, se nourrissait d’idées nouvelles en gravitant autour des mots contenus dans les livres.
Son œuvre est une main tendue : s’y attarder, c’est tisser du lien ; lire ses mots, c’est alimenter son souvenir, non comme une simple répétition, mais comme une transmission. Le suivre dans ses écrits, c’est emprunter un sentier où chaque phrase éclaire un pan de mémoire, où chaque réflexion résonne encore et en appelle une autre. C’est peut-être ainsi que le passé, loin de disparaître, trouve sa manière de perdurer en nous… Il s’inscrit dans la continuité des mots et du souvenir que l’on en a.
Alors, lisons-le et souvenons-nous. Laissons ses mots nous guider, nous surprendre, nous questionner… Comme il aurait aimé, comme il a toujours fait.
Minh Spielmann.