Propositions de Lectures
Textes de Claude Spielmann
Psychanalyste
L'identité et l'identification
Journée Annuelle de l'Hôpital, 1986, Reims
« Voyez cette histoire juive bien connue : de ce Katzmann qui, las de porter un nom où l’on devinerait ses troubles origines, décide, en France, de le traduire. Katz veut dire “chat” et Mann “l’homme” ; il se nomma Chalom (mot d’hébreu courant, signifiant “paix” et surtout “bonjour”…) »
« Un nom, ça ne se traduit pas. Ça ne se fait pas. Mais si on le traduit tout de même, comme Monsieur Katzmann, cette traduction échoue en ce sens qu’elle manque son but : elle ne change rien. »...
Corps inoubliables (2009)
Colloque Europsy
« Tandis que j‘écris, Libération (2 octobre 2009) sous la plume de Julia Tissier, publie un article intitulé : Coupé de lui-même. [Il s’agit d’un transsexuel].
On ne peut pas faire n’importe quoi de son corps, même s’il y en a de trop. On ne peut pas faire n’importe quoi d’un corps considéré comme un simple objet détaché du sujet, lui-même condamné à l’habiter d’une manière ou d’une autre. Car telle fut la sentence : le scalpel en guise de nomination et de reconnaissance d’un sujet en devenir. »…
Le temps des cerises (2009)
Colloque de la Fédération des Ateliers psychanalytiques
« Le temps des cerises est la métaphore d’un projet incertain, une anticipation folle, un futur qui nous attire. Chanter que nous chanterons le temps des cerises bonnes à manger, est-ce possible aujourd’hui et à quelles conditions ?
Nous savons que le désir d’analyse est mis à mal aussi bien pour celui qui sonne à votre porte la première fois que pour vous qui ouvrez cette porte, si vous n’y preniez pas garde. Plus qu’au paravent, la demande est dissimulée derrière une exigence immédiate et la réponse devrait l’être aussi. Il y a urgence, il faut être réparé en temps réel. »...
Fragiles et insistantes représentations (2012)
Colloque Europsy
« Claquements continus de bottes sur les pavés, (à cette époque, il y en avait encore dans presque toutes les rues), claquements de bottes comme un roulement infatigable de tambours, chants martiaux, musique sectionnée, paroles beuglées en une langue étrangère, langue blessée, blessante. Le fond de l’air était froid et chargé d’une peur sourde et persistante. Il ne saurait dire combien de fois il fut ainsi agressé, deux fois auraient sans doute suffi. Mais pour lui, une telle séquence de sa vie demeure hors temps et hors comptage.
Ces images privées de pensée se présentent sous la forme d’une troupe sans visage, une cohorte de soldats vert de gris réduits à l’état de marionnettes. Des soldats, des chants d’il y a bien longtemps. Ils sont encore là. »…
Ecrire la solitude (2014)
Colloque Réciproque
« Papier crayon, écran touches, ça change quoi ? L’espace d’une inscription est vierge et blanc, d’un blanc où la pureté est en attente de défloraison, de déchirure, en attente d’un partenaire d’abord muet. Blanc d’une invitation aussi bien que d’une timidité. Mais déjà une activité silencieuse s’organise, une agitation s’opère au fond de soi, ou plutôt un remue- ménage. On fait le ménage, élimine le superflu pour laisser la place à quelques mots déclencheurs d’une ou deux idées, guère plus. Ça sert à quoi, ça change quoi ? Peut-être déjà à se sentir en vie, envie de pouvoir dire une petite chose de son existence, l’entendre en silence ou avec fracas en soi, la dire et la passer à quelqu’un sans savoir exactement à qui. Donner vie à la feuille ou à l’écran est, dès le premier mot, choisir un interlocuteur et laisser surgir une adresse. »…
DANGER D’EXILLUSION L’ILLUSION RESISTANTE
Exposé à La criée à Reims le 28 avril 2016
"Installé devant mon ordinateur, je me répète comme une mécanique ce jeu de mot à valeur de néologisme, l’exillusion. Ex, ce qui n’est plus, et exil, ce qui est ailleurs. Ecrire, oui mais quoi ? Ma pensée ne se détache pas de ce vendredi treize novembre. Jour de chance, dit-on. La radio diffusait je ne sais quelle musique en sourdine. Je me souviens qu’elle s’était arrêtée pour annoncer, peu importe dans quel ordre, le massacre dans la rue, au Grand Stade, au Bataclan, à l’Hyper cacher. Le nombre de victimes était toujours donné à titre provisoire. On aurait dit un jeu de hasard. Qui va gagner ? Assez vite en moi, ces massacres se sont constitués en un seul, un seul bloc quasiment à l’image d’un Réel. Or le Réel est sans imagination, sans désir et sans illusion, il ne nous en laisse aucune. En cette fin de journée, mes doigts restent immobiles au -dessus des touches. Ils sont raides de silence, ils se refusent à écrire. La pensée ne s’organise pas, elle est contrariée par des mots épares, parfois incomplets, impuissants devant ceux des journalistes, gâchés par des images hétéroclites qui ne chassent pas celles, répétitives, glanées à la TV".